DOCERE

Joseph Ratzinger

« L'Écriture n'a pas l'intention de nous rapporter comment les espèces de plantes firent leur apparition, comment le soleil, la lune et les étoiles se formèrent, mais, au bout du compte, de nous dire une seule chose : Dieu a créé le monde.
     Le monde n'est pas, ainsi que le pensaient alors les hommes en maints endroits, un chaos de forces antagonistes, ni le siège de puissances démoniaques dont l'homme doit se protéger. Le soleil et la lune ne sont pas des divinités qui règnent sur lui. Au-dessus de nous, le ciel n'est pas peuplé de divinités mystérieuses et opposées, mais tout vient d'une seule puissance, de la « raison » éternelle de Dieu, devenu force créatrice dans le Verbe. »

— Joseph Ratzinger, Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre, éd. Fayard, p. 15

« Maintes fois, en effet, le monde est à la semblance de la demesure d'un dragon, et le sang de l'homme à celle du sang d'un dragon. Mais, face à ces expériences affligeantes, le récit de l'Écriture sainte affirme qu'il n'en a pas été ainsi. Toute l'histoire des puissances des ténèbres s'y réduit à une demi-phrase : « Or la terre était vide et vague. » Dans les mots hébreux qui sont utilisés, on retrouve encore les expressions désignant le dragon, la force démoniaque. A présent, il ne reste plus que le néant en face duquel Dieu est la seule Puissance. Et contre toute crainte des puissances démoniaques, on nous dit : Dieu seul, la raison éternelle, Lui, l'amour éternel, a créé le monde et le tient entre ses mains. Ce n'est que dans cette optique que nous pouvons comprendre la lutte sous-jacente au texte biblique. Son véritable sens est d'écarter tous ces mythes confus et de reconduire le monde à la Raison divine et à la Parole de Dieu. On pourrait démontrer cela pas à pas à partir du texte. Par exemple, le soleil et la lune sont décrits comme des luminaires que Dieu suspend au ciel pour mesurer les temps. A l'époque, cela devait paraître un énorme sacrilège que de désigner les grandes divinités du soleil et de la lune comme des lampes destinés à mesurer le temps. Voilà l'audace, la sobriété de la foi qui, dans le combat contre les mythes païns, révèle la lumière de la vérité en montrant que le monde n'a rien d'une bataille de démons. Ce monde surgit de la raison, de la raison de Dieu; il repose sur la Parole de Dieu. Ainsi ce récit de la Création apparaît comme la « lumière » décisive de l'histoire, comme le triomphe sur les angoisses qui avaient enchaîné l'homme. Il signifie l'ouverture de l'homme à la raison, la reconnaissance de sa rationnalité et de sa liberté. Il se montre également comme vraie lumière en ce qu'il asseoit la raison humaine sur le socle de la Raison divine créatrice, afin de la maintenir fermement dans la réalité et dans l'amour. Sans ceux-ci, l'illumination de la raison perd sa mesure et devient finalement insensée. »

— Joseph Ratzinger, Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre, éd. Fayard, p. 23

« Nous pouvons voir la Bible elle-même modifier sans arrêt les images au gré d'une pensée en progression. Elle les modifie continuellement afin de témoigner en permanence d'une même chose, venue en réalité de la Parole de Dieu : l'annonce qu'Il est Créateur. »

— Joseph Ratzinger, Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre, éd. Fayard, p. 25

« Le récit de la Création, comme la loi, se lit avec Lui. [Le Christ] Par lui, et non par quelque artifice inventé plus tard, nous savons que Dieu a voulu semer petit à petit, au cours des siècles, dans le cœur et dans l'âme de l'homme. Le Christ nous libère de l'esclavage de la littéralité, et nous rend ainsi la liberté des images. »

— Joseph Ratzinger, Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre, éd. Fayard, p. 26

« Ce n'est plus à travers la totalité de sa forme que l'on entend découvrir ce que dit un texte, ou ce qu'est une chose, mais en se basant sur ses origines. Cette façon d'isoler de l'ensemble, de considérer le particulier de manière littérale, répugne à l'essence même des textes bibliques, tout en étant désormais considérée comme la seule scientifique. De là est venu le conflit entre sciences positives et théologie, qui pèse encore aujourd'hui sur la foi. Ce conflit ne devrait pas exister, car la foi, depuis le début, est beaucoup plus élevée, plus ample et plus profonde. »

— Joseph Ratzinger, Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre, éd. Fayard, p. 27

« Dans toutes les cultures, les récits de la Création mènent à cette conclusion que le monde est fait pour le culte, pour la glorification de Dieu. [...] Le danger des civilisations techniciennes d'aujourd'hui est que nous sommes coupés de ce savoir primordial. La prétention à une scientificité mal comprise nous empêche de percevoir le message de la Création. Il existe un savoir primordial commun qui montre le chemin et unit entre elles les grandes cultures. »

— Joseph Ratzinger, Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre, éd. Fayard, p. 38

« L'humilité de la foi a disparu, l'orgueil de l'agir s'est effondré, et se dessine ainsi une nouvelle attitude non moins nocive que la précédente, une mentalité qui considère l'homme comme un trouble-fête qui abîme tout, un cancer, le véritable fléau de la nature. L'homme ne s'aime plus lui-même. Il voudrait se retirer de la scène afin que la nature puisse retrouver la santé. Mais ce n'est pas ainsi que nous rétablirons le monde. Car en ne voulant plus de l'homme que Lui-même a voulu, nous nous opposons également au Créateur. Nous ne purifions pas le monde, mais nous nous détruisons, nous et la Création. Nous lui enlevons l'espérance qui est en elle, et la grandeur à laquelle elle est appelée. »

— Joseph Ratzinger, Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre, éd. Fayard, p. 47

« L'attitude technico-scientifique a produit une forme particulière de certitude, celle qui peut être confirmée par l'expérience et la formulation mathématique. Dans une certaine mesure, elle a rendu l'homme libre de la peur et de la superstition, et lui a donné un certain pouvoir sur l'univers. Mais il existe actuellement une tendance à n'accepter comme raisonnable, et donc sérieux, que ce qui peut être prouvé par l'expérience et le calcul. Cela implique que la morale et le sacré ne comptent plus. On les inclut dans le domaine de ce qui doit être dépassé, celui de l'irrationnel. Là où l'homme agit de la sorte, là où nous réduisons l'éthique à la physique, nous ôtons précisement ce qui est propre à l'homme, et nous ne le libérons plus, nous le détruisons. »

— Joseph Ratzinger, Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre, éd. Fayard, p. 54

« A la question : qu'est-ce qui différencie vraiment l'homme de l'animal, qu'y a-t-il en lui de totalement nouveau?, il convient de répondre : l'homme est l'être qui peut penser Dieu, l'être qui peut prier. »

— Joseph Ratzinger, Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre, éd. Fayard, p. 56